L'homme amoindri : comment avons-nous consenti au pseudo-mythe de "l'intelligence artificielle"?5/24/2024 La liberté consiste d’abord à ne pas mentir. Là où le mensonge prolifère, la tyrannie s’annonce ou se perpétue » Albert Camus
Le fait de nommer « intelligence artificielle » un ensemble d’opérations effectuées par des ordinateurs est révélateur de notre conception moderne de la personne humaine. En effet, nommer « intelligence » un réseau de connexions algorithmiques et de programmations informatiques à partir d’un immense réservoir de données, me semble partir de trois pré-supposés que l’on peut aisément remettre en question. L’oubli du corps Le premier présupposé est de concevoir l’activité cérébrale comme l’alpha et l’oméga de l’intelligence humaine. Or, on oublie là que l’on pense aussi avec son corps. D’abord parce que ce qui nourrit notre intelligence est bien l’expérience de nos sens, ensuite parce que l’expérience personnelle du monde dépend du corps que l’on est. D’autre part, on sait aujourd’hui que les neurones ne sont pas l’apanage exclusif du cerveau puisque le coeur a lui aussi un réseau de neurones, indépendant, et que l’intelligence du coeur n’est pas qu’une métaphore. En outre les liens entre le coeur et le cerveau peuvent s’harmoniser - ce que sait la médecine chinoise depuis des millénaires, puisqu’elle sait que c’est l’activité du coeur qui maintient celle du cerveau . Enfin, il convient aussi de rappeler que l’activité de l’inconscient (personnel et collectif, ce dernier n’étant pas que en nous-mêmes) interfère avec notre perception du monde. A la lumière de ces rappels, il est clair que l’activité cérébrale n’est de loin pas la seule à être en jeu dans la vie de l’intelligence. La place de la conscience Bergson avait déjà émis l’idée que la vie de l’esprit n’était pas circonscrite à l’activité cérébrale et la débordait largement. Les apports de la physique quantique nous amènent plus loin ,car ils nous montrent non seulement que la conscience n’est pas localisée dans le cerveau mais que celui-ci est davantage un organe capable de « capter » les informations d’une conscience beaucoup plus large et extérieure à lui. Ce que nombre de peuples premiers savent depuis des millénaires, information que la mode chamanique actuelle tend à réactiver dans notre monde contemporain. La sur-valorisation de l’intelligence logico-mathématique Enfin, en France notamment, voici des dizaines d’années que dans le système scolaire et le monde professionnel, l’intelligence mathématique est largement sur-évaluée et tend à se confondre avec la définition même de l’intelligence. Et ce, malgré la mise en évidence et la reconnaissance des « intelligences multiples ». Non, l’intelligence n’est pas le fruit de la seule activité cérébrale et non, l’activité cérébrale ne se réduit pas à une suite de raisonnements et déductions, et encore moins à la seule intelligence logico-mathématique. Le fameux cartésianisme dont beaucoup se réclament, aboutit malheureusement souvent à une amputation de l’intelligence humaine si riche et multi-dimensionnelle. De plus, il hypertrophie l’activité cérébrale au détriment de deux instances aujourd’hui largement négligées dans la conception officiellement à l’oeuvre de l’être humain. Deux instances qui demandent à être ré-habilitées : l’âme et l’esprit. Redonner une place à l’âme et à l’esprit Il faut d’abord reconnaitre la confusion sémantique qui concerne habituellement les termes d’âme et d’esprit. L’un passe souvent pour un synonyme de l’autre. Or il convient de les distinguer. De plus, selon les auteurs, l’âme tend à se réduire parfois en « psychê », et l’esprit à la pure activité cognitive. Ce n’est pas le lieu ici de revenir sur ces définitions précisément, mais juste de pointer que la confusion sur ces notions essentielles à la compréhension de notre anthropologie commune et de notre humanité, permet de brouiller les pistes. Cette confusion des termes, ajoutée à la méconnaissance de leurs fonctions respectives et de leur dynamique conjointe, contribue à nous faire croire que les modèles de langage et les réseaux de neurones artificiels pourraient être une condition suffisante de l'« intelligence ». Démystifier l’IA … Quel interêt avons-nous à croire à ce tour de passe-passe ? Sinon celui d’accepter de nous réduire à une seule fonction de notre fantastique intelligence humaine, constituée de tant de multiples dimensions. Réduire notre potentiel en prenant une partie de nos capacités pour un tout, et se rendre compte que les machines sont plus performantes que nous dans un certain type d’opérations devrait nous permettre de prendre conscience des autres fonctions que nous sommes appelés à identifier et à faire croitre en tant qu’êtres humains. Au lieu de quoi, nous sommes selon les uns et les autres, soit fascinés soit effrayés par ces opérations des machines, … auxquelles nous attribuons un pouvoir démesuré et qu’une seule petite coupure d’électricité pourrait d’un coup réduire à néant ! Dans les deux cas, fascination ou peur, notre positionnement est une subordination.. A mon sens, il est important de nommer les choses pour ce qu’elles sont. Je suggère donc de trouver d’autres vocables pour désigner ces opérations de calcul et de mise en relation, d’extraction de données et de modèles entrainés. La confusion entretenue (est-ce volontaire ?) entre ces opérations et ce qu’est la véritable intelligence (que l’on ne sait toujours pas réellement définir) est un leurre dont il convient de sortir. De même, le fait de nommer les activités de ces machines en les rassemblant sous un vocable unique « l’IA », suggérant par l’emploi de ce singulier, l’émergence d’une unique intelligence capable de tout diriger ou calculer est aussi à mon sens symptomatique d’une commune volonté de soumission à une intelligence supérieure. Nous avons congédié l’idée de Dieu, est-ce pour nous soumettre à des machines ? … c’est retrouver notre place et notre pouvoir Comment acceptons-nous de nous laisser réduire à ce point et à nous subordonner à des machines ? Comment acceptons-nous que le génie humain soit soumis à une telle standardisation des activités cognitives ? Comment acceptons-nous de croire que de la rumination sans fin de données vont naitre de nouvelles solutions ? Ce que nous nommons « intelligence artificielle » est un pseudo-mythe qui permet et prépare notre soumission, par une réduction volontairement acceptée de ce que nous sommes, dans une comparaison horizontale avec les capacités des machines. Nous mettre au niveau des ordinateurs, voire nous y subordonner (ce qui est déjà largement le cas dans les pratiques professionnelles) voilà une belle avancée pour les esclavagistes et eugénistes de tout poil, pour ceux dont la volonté de contrôle n’a pas de limite et pour lesquels l’implantation d’une puce informatique dans nos corps ne peut être qu’une « amélioration » de notre condition humaine. Répandre la conception d’un Homme amoindri, ne pouvant « rivaliser » avec la machine, ne peut que servir les idéaux transhumanistes. Alors qu’un Homme entier, conscient de sa vulnérabilité comme de sa grandeur, n’a lui aucun besoin d’être « augmenté ». Il me parait urgent de nous ré-apporprier pleinement nos capacités proprement humaines, celles du corps, de l’âme et de l’esprit qui nourrissent nos capacités cognitives et notre évolution et qui sont aussi le garant de notre identité personnelle pour penser et nous relier au monde. C’est le défi qui nous est proposé. Le relèverons-nous ?
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Chaque matin, cherche l'étincelle, l'éclair , qui allume en toi le jour. Jean Yves Leloup Les compétences humaines - ou soft skills - que l’on n’apprend ni à l’école ni en famille, sont pourtant au coeur de ce qui entretient la Vie en nous et dans nos collectivités.
La créativité est de celles-là. Elle peut sembler a priori n'être qu'une compétence parmi d'autres mais ne sous-estime-t-on pas sa véritable puissance ? Dans un monde en constante évolution - ou désagrégation-, savoir trouver et mettre en oeuvre des solutions nouvelles est une qualité précieuse. Et nous avons plus que jamais besoin de personnes créatives. Quelles sont les capacités spécifiques qu'elles mettent en oeuvre ? Comment arrivent-elles à sortir des représentations communément admises et des normes standardisées de la pensée pour proposer quelque chose de neuf ? Des capacités de perception et de mise en relation Il me semble que deux éléments importants - que nous pouvons veiller à développer - favorisent ce processus: D'abord, la capacité de percevoir ce qu'elles perçoivent réellement, plutôt que de se conformer à des normes prédéfinies ou à une vision standardisée de la réalité. Autrement dit savoir voir ce qu'elles voient, sentir ce qu'elles sentent, entendre ce qu'elles entendent. Ensuite, elles savent tisser des liens inédits, saisir des opportunités restées jusque là latentes. Ce qui permet une recomposition dynamique apte à remettre du mouvement là où il n'y en avait plus et dessine déjà une issue possible. La créativité c'est l'antidote au grand danger de nos existences et de nos organisations, défini par Jean-Yves Leloup comme "la normose". C'est s'opposer à la sclérose, qu’elle soit physique, psychologique, cognitive ou spirituelle, et c'est aussi accueillir l'imprévu qui en jaillira. Ceux qui sont capables de penser hors de la boite - « out of the box » - sont donc des éléments sources du changement, dans les organisations, les familles, les groupes, les entreprises. Une conscience élargie Parmi eux les artistes sont ceux qui poursuivent ce chemin jusqu'à nous donner à voir l'invisible, alors encore enclos au sein de la réalité que nous croyions connaitre, mais que nous n'avions pas encore perçu. Ils nous permettent d'élargir notre champ de conscience et "au lieu de voir un seul monde (...) autant qu’il y ait d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition » ( Marcel Proust). En ce sens, en ouvrant nos imaginaires et en élargissant nos perceptions, les artistes opèrent des "recadrages" (reframing) qui changent nos perspectives et suscitent des chemins jusqu'alors insoupçonnés. Une compétence humaine La créativité est inscrite au coeur de l’espèce humaine, et si nous ne sommes pas tous artistes, nous avons tous néanmoins une forme de créativité, qu'il est bon d'identifier. Il n’y a pas d’humain qui ne soit potentiellement créatif, il n’y a que des personnes parfois bloquées, inhibées et qui n’accèdent pas à leurs ressources, des personnes éduquées et/ou maintenues dans la crainte de sortir du rang, d’être différentes, paralysées par la peur du regard des autres ou d'un potentiel échec. Mais la créativité comme toutes les aptitudes humaines s’éduque, se favorise, s’encourage, alors elle permet à chacun de s’affirmer en tant que personne avec sa vision propre. au service de la transformation personnelle... C'est ainsi, que sur le plan intérieur, il est capital de pouvoir aussi la mettre en oeuvre: En permettant de sortir des habitudes (habitudes de pensées, croyances limitantes, attitudes inconscientes, pensées récurrentes et paralysantes, schémas répétitifs ) la créativité est en effet l’un des piliers de la transformation qui s’opère lors des séances de coaching et de thérapie ou à la faveur d'une épreuve personnelle. Elle favorise le mouvement qui permet d’abandonner l’ancien lorsque celui-ci nous enferme, en nous faisant entrevoir d'autres possibilités. La créativité n’est pas une fin en soi. Mais la cultiver au quotidien est une aide précieuse dans notre chemin vers nous-mêmes. Elle accompagne notre parcours personnel d’évolution en nous donnant concrètement la permission de répondre à cet appel inscrit au coeur de chacun, à devenir toujours plus soi-même. Ce dont il s’agit ici est de consentir à devenir celui ou celle que nous sommes profondément et de faire entendre sa propre mélodie tout en contribuant à l'ensemble de l'orchestre. ...et collective ! Elle soutient le mouvement de la vie et permet de résister aux sirènes de la « normose » ou de la normalité pathologique. Que ce soit sur le plan collectif ou personnel, elle nous permet de nous réaliser en contribuant efficacement au monde, et si elle contient potentiellement, pour une collectivité malade, des germes de subversion qui invitent à un retour à la Vie, alors réjouissons-nous et cultivons-la ! Les changements collectifs ne pourront se faire qu'avec des personnes libres, qui opèrent ce chemin intérieur de libération par rapport à des schémas anciens devenus inopérants. Des personnes capables de refonder des lieux et des liens respectueux de la Vie, aptes à favoriser une véritable croissance humaine. Pour cela chacun de nous a besoin de se renouveler, de renouer avec le flux de la Vie en lui, et d'accéder à sa dignité de co-créateur : la véritable créativité est alors d'agir en collaborateurs du Vivant, elle est ainsi non plus seulement un trait de notre personnalité mais bien plutôt une adhésion à la Vie toute entière ! Retrouvons ensemble, le goût de l'aventure humaine Expatriée depuis 26 ans et ayant élevé mes trois enfants à l’étranger dans un contexte multi-culturel et multilingue, la question de savoir que transmettre à mes enfants s’est imposée à moi depuis bien longtemps. Dans quelle langue les éduquer ? Quel système scolaire choisir ? Ces questions impliquaient de choisir : Dans quelle tradition culturelle les ancrer ? Et, vivant alors dans un pays qui n’existait pas encore au moment de ma naissance (Emirats Arabes Unis), j’eus soudain conscience de les élever pour un monde que je ne connaissais pas encore et me demandais comment leur donner un viatique valable quoiqu’il arrive et quelles que soient les circonstances dans lesquelles ils seraient amenés à vivre? Qu’avons-nous à leur dire d’absolument essentiel ? Aujourd’hui mon intuition est devenue une certitude: ils sont en partance pour un monde inconnu et les parents sont de plus en plus pressés par le temps et l’urgence avant que leurs enfants, nos enfants, ne s’embarquent pour un long voyage dont nous ne ferons avec eux qu’une partie du trajet… C’est un peu comme si nous les mettions, contraints et forcés, dans une fusée pour un autre monde. Le voyage est vertigineux par la distance et par la vitesse, et nous ignorons tout de leur destination. Nous sentons bien que nous devons en peu de temps leur transmettre l’essentiel pour survivre. Quel est le meilleur viatique pour ce voyage inédit dans l’histoire de l’humanité ? La question que je me posais il y a 26 ans, se pose aujourd’hui collectivement avec encore plus d’acuité : Qu’avons-nous à leur dire d’absolument essentiel ? Et comment le leur dire ? Eduquer un enfant est-il encore un processus d’adaptation à son environnement? Nous sentons bien qu’il nous faut définir ce que aujourd’hui éduquer veut dire. Autrefois, on éduquait un enfant pour l’adapter au monde dans lequel il allait vivre. Mais aujourd’hui, dans un environnement structurellement dysfonctionnel au regard des lois de la Vie, cela ne va plus de soi : Eduquer un enfant est-il encore un processus d’adaptation à son environnement ? Quel est le sens de l’éducation: faire de l’être que l’on éduque quelqu’un qui « fonctionnera » bien ou lui donner les conditions de devenir celui qu’il est déjà mais encore en germe? Consciemment ou non, cette question se présente comme une irréductible opposition pour de nombreux parents, tiraillés entre leur désir profond que leur enfant grandisse selon le potentiel qui réside en son être - et la volonté de mettre à sa disposition ce qui lui permettra de le révéler au cours de son existence - et ce qu’ils ressentent par ailleurs comme une nécessité, de faire en sorte que leur enfant devenu adulte puisse « faire sa place « dans la société. Les deux buts de l’éducation (adaptation et développement) ne sont plus liés entre eux. Ils semblent même s’opposer parfois. Qu’est-ce qui a changé ? C’est que nous avons été dépossédés de notre capacité à construire le monde de demain et que celui-ci au fil des jours et des années, s’impose à nous plus que nous ne le choisissons. Quelle humanité allons-nous transmettre à nos descendants? C’est comme si nous étions collectivement placés devant le choix de la survie (adaptation à un monde que nous n’avons pas choisi) ou de la vie (créativité d’un monde à construire). La question de la transmission n’est donc aujourd’hui pas tant tournée vers le passé que vers l’avenir. Ce qui semblait aller de soi est aujourd’hui mis en question par les ambitions transhumanistes de quelques uns. L’humanité se trouve maintenant confrontée à un choix qui se pose de manière inédite dans l’Histoire: Accepter ce que certains appellent « l’homme nouveau » qui abolit la frontière entre l’humain et le robot - et ce faisant une progressive mais inéluctable déshumanisation à laquelle il faudrait, faute de mieux, adapter nos enfants ? Ou bien refonder notre humanité commune, si diversement exprimée, en travaillant à donner à chaque humain de cette planète les éléments fondamentaux dont il a besoin pour être et grandir en HUMAIN. C’est ce que ce moment, que nous avons collectivement choisi de vivre, nous offre comme défi et comme question: Aujourd'hui, il ne s'agit pas donc pas seulement de savoir quel monde, mais aussi quelle humanité nous allons transmettre à nos descendants ? |
AuteurCécile de La Ruelle ArchivesCatégories |